Abysses ou grands fonds : une question de profondeur ?

Voyage vertical dans l’océan : comprendre le découpage de la colonne d’eau

Ce qui se trouve entre la surface et le fond de l’océan s’appelle la colonne d’eau. Celle-ci se découpe en cinq zones. La profondeur moyenne de l’océan est de 3 700 mètres.

  • Le terme « grands fonds » est un terme général. Il désigne toutes les zones profondes, situées au-delà du plateau continental, généralement à partir de 1 000 mètres de profondeur.
  • Le terme « abysses » (du grec ancien abussos, « sans fond, d’une profondeur immense ») est une partie spécifique des grands fonds, correspondant à la zone comprise entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur.
Iconographie du découpage de la colonne d'eau Découpage de la colonne d'eau - © 70.8
  • La zone épipélagique, aussi appelé la zone euphotique, se situe entre 0 et 200 m de profondeur. Les rayons du soleil peuvent suffisamment pénétrer les eaux pour que les végétaux puissent réaliser la photosynthèse.
  • La zone mésopélagique s’étend entre 200 et 1 000 mètres de profondeur. Dans cette zone dite zone aphotique, il n’y a plus assez de lumière pour les organismes photosynthétiques.
  • Les grands fonds commencent à partir de 1 000 m de profondeur. Les grands fonds correspondent aux zones bathypélagiques, abyssales et hadales. Ces trois zones ont des caractéristiques communes : absence totale de lumière, températures basses (entre 1 et 4°C), et pression très élevée.
  • La zone bathypélagique s’étend entre 1 000 et 4 000 mètres de profondeur. Le nom bathypélagique vient du mot grec ancien bathýs qui signifie « profond ». Elle est aussi connue sous le nom de zone de minuit parce que la lumière ne pénètre pas dans cette zone.
  • La zone abyssopélagique ou zone abyssale est la partie de l’océan qui s’étend entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur. Le fond de ces plaines abyssales est couvert de sédiments fins qui sont des vases constituées de squelettes d’organismes planctoniques.
  • Au-delà de 6 000 mètres, c’est la zone hadopélagique, aussi connue sous le nom de zone hadale. Le mot « hadale » vient de Hadès, ancien dieu grec régnant sur les Enfers. La zone hadale n’est pas une zone continue, sa superficie totale représente moins de 1 % de l’ensemble des fonds marins.

Au moins cinq fosses océaniques dépassent les 10 km de de profondeur (Tonga, Kouriles, Philippines, Kermadec et Mariannes). La fosse des Mariannes dans l’Océan Pacifique avec 11 km de profondeur est l’endroit le plus profond jamais exploré.

Le monde des grands fonds semble tout droit sorti d’un film de science-fiction. Pourtant, tout est bien réel. L’aventure de son exploration s’amplifie car il reste tant à découvrir.

Connaître pour comprendre : une nécessité scientifique

Longtemps, les grands fonds ont été considérés comme des espaces vides et dépourvus de vie. Il faut attendre 1930, pour que William Beebe et Otis Barton atteignent 923 mètres de profondeur, pour la première fois. Lors de cette plongée, ils découvrent des espèces que l’homme n’a jamais vues.

Une autre date très importante c’est 1977 et la découverte des sources hydrothermales par plus de 2 500 mètres de profondeur et la mise en évidence de la chimiosynthèse.

Depuis, les grands fonds marins n’ont jamais cessé de fasciner, de faire parler d’eux, de susciter beaucoup d’intérêt et de convoitises. Ce territoire qui couvre plus de la moitié de la surface de la Terre est moins bien cartographié que la surface de la Lune ou de Mars. Pourtant, il recèle d’immenses plaines, des montagnes escarpées, des fosses océaniques vertigineuses, des sources d’eau chaude crachant des minéraux, une obscurité complète, des températures glaciales, des pressions écrasantes et des organismes vivants extraordinaires, étonnants et inconnus de la science…

Chaque plongée permet de nouvelles découvertes et les travaux des chercheurs nous permettent de connaître chaque jour un peu mieux cet univers des grandes profondeurs.

Les résultats des études tendent à montrer que des perturbations majeures peuvent entraîner des destructions irréversibles de la biodiversité

Découvert en 2001 et déjà en danger : Le 18 juillet 2019, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a ajouté à sa liste rouge des espèces en danger le gastéropode écailleux (Chrysomallon squamiferum).

Il vit près des cheminées hydrothermales et est devenu la première espèce menacée par le forage et l’extraction en eaux profondes.

Gastéropode écailleux (Chrysomallon squamiferum) ©Chong Chen - Wikipédia

Les formidables adaptations des animaux des abysses

Les animaux des grands fonds marins fascinent par leurs formes étranges et leurs adaptations hors du commun.

Vivant dans l’obscurité totale, à des pressions écrasantes et des températures glaciales, ces créatures ont développé des stratégies étonnantes : certaines produisent leur propre lumière par utilisation d’une réaction chimique créant de la bioluminescence, d’autres possèdent des mâchoires démesurées, des corps gélatineux ou une peau ultra-sombre qui absorbe presque toute la lumière.

vers géants (Riftia pachyptila) dans une source hydrothermale © Ifremer-ID 25085- Ifremer

Parmi les découvertes marquantes figurent des vers géants (Riftia pachyptila) l’espèce emblématique des sources hydrothermales.

Ce grand ver géant peut atteindre plus de 2 mètres. Il vit dans un tube de chitine qu’il sécrète. Ce tube lui permet de se protéger des prédateurs et des conditions environnementales difficiles.

Pour s’alimenter ce ver utilise une technique bien particulière. Il n’a ni bouche, ni tube digestif, ni anus. Alors comment s’alimente-t-il ? Il possède un sac appelé le trophosome. Des bactéries vivent dans ce trophosome. Elles transforment les éléments chimiques (chimiosynthèse) émis par les sources hydrothermales tel que l’hydrogène sulfuré en éléments assimilables par le ver. Les vers et les bactéries vivent en symbiose puisqu’ils ont besoin les uns des autres pour leur survie.

Ces milieux extrêmes abritent aussi des micro-organismes uniques, produisant des enzymes, molécules ou composés chimiques prometteurs pour la médecine, les biotechnologies ou la cosmétique.

De plus, les grands fonds recèlent de ressources énergétiques, comme les hydrates de méthane ou les nodules polymétalliques riches en terres rares. Mais leur exploitation soulève de nombreuses questions environnementales majeures, car ces écosystèmes sont très fragiles et surtout largement méconnus.

Malgré les avancées, plus de 80 % des grands fonds restent inexplorés. Chaque plongée dans ces profondeurs peut mener à la découverte d’espèces inconnues, de comportements inédits, voire de formes de vie totalement nouvelles ou encore d’indices sur l’origine de la vie. Les abysses restent l’une des dernières grandes frontières de l’exploration scientifique.

À la conquête des grands fonds : les technologies qui révèlent leurs secrets

La France dispose d’une flotte océanographique parmi les plus avancées au monde pour explorer les grands fonds marins. Elle s’appuie sur des outils technologiques de pointe, gérés notamment par la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer.

Parmi ces moyens se trouve le Nautile, un sous-marin capable de plonger jusqu’à 6 000 mètres de profondeur, utilisé pour observer directement les abysses. Seul sous-marin habité de la Flotte océanographique française, il peut embarquer un scientifique, un pilote et un copilote qui observent les profondeurs à travers trois hublots. Le Nautile a plongé plus de 2 000 fois dans tous les océans et permis de nombreuses découvertes.

Le Victor 6000, lui, est un robot téléopéré (ROV) qui peut rester des dizaines d’heures voire des jours en immersion. Il est relié à la surface par un câble de 8 500 m de long. Comme le Nautile, il est équipé de caméras et de deux bras manipulateurs.

Mis en service en 2024, l’Ulyx, est le seul un robot autonome (AUV) de la Flotte océanographique française capable d’aller aussi profond que le Victor 6000 et le Nautile. Ulyx est alimenté par des batteries et il a une autonomie jusqu’48h. Il permet des missions longues et précises, même dans des zones difficiles d’accès et en fonction des indices qu’il détecte, il modifie sa trajectoire.

Le Victor 6000, un robot sous-marin téléopéré Le Victor 6000 - © Olivier Dugornay-Ifremer

La recherche passe aussi par des techniques comme le carottage du sol océanique, pour étudier la composition des sédiments, ou les observatoires côtiers sous-marins, qui enregistrent en continu des données sur l’environnement marin.

Par l’utilisation de ces outils, la France participe activement à la découverte des grands fonds, en alliant exploration, recherche scientifique et surveillance des écosystèmes profonds.

À qui appartient l’océan ? Les enjeux, entre exploration et exploitation

Enjeux et encadrement des grands fonds marins

Les grands fonds marins représentent aujourd’hui un enjeu stratégique majeur, à la croisée de l’exploration scientifique et de l’exploitation économique. Riches en ressources minérales, en composés chimiques rares et en potentiel énergétique, ces zones attirent de plus en plus l’attention des États et des industries.

Cependant, leur accès est encadré par le droit maritime international. Chaque pays possède une Zone Économique Exclusive (ZEE) qui s’étend jusqu’à 200 milles nautiques (environ 370 km) autour de ses côtes. Dans cette zone, le pays peut explorer mais doit protéger et exploiter durablement les ressources marines.

La Zone et les défis de protection

Au-delà de cette ZEE, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a défini « la Zone », qui correspond aux fonds marins et océaniques, leur sous-sol, leurs ressources minérales, comme patrimoine commun de l’humanité. L’AIFM a pour compétence la réglementation de toutes les activités d’exploration et d’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins dans « la Zone », notamment en ce qui concerne l’adoption de mesures nécessaires pour assurer une protection efficace du milieu marin contre les effets préjudiciables pouvant découler de ces activités.

La « Zone » et la colonne d’eau au-dessus sont aussi appelées la haute mer ou les eaux internationales.

Face aux ambitions économiques croissantes, la communauté scientifique et de nombreuses ONG appellent à la prudence. Les écosystèmes profonds sont fragiles, peu connus et leur destruction pourrait être irréversible. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre la connaissance, la préservation et une éventuelle utilisation responsable des richesses des grands fonds.

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